C’est Bayroute
Ce n’est pas pour contredire les politologues et sondeurs confortés dans leur diagnostic en terme d’arithmétique électorale, mais je trouve la théorie de l’effacement du 21 avril et de la grande victoire de la démocratie à l’issue de ce premier tour de l’élection présidentielle un peu courte..
Un vote de peurs
Le vote «utile » antisarko qui a mobilisé la gauche autour de Ségolène Royal, constitue comme le vote en faveur du candidat UMP qui prétend protéger les français de l’insécurité, une expression de peurs. Peur de l’autoritarisme et de l’abus de pouvoir que constituerait le candidat UMP. Peur de la violence, des étrangers, des jeunes toujours stigmatisés dans le discours de celui-ci invitant à une société du chacun pour soi, où l’on est en concurrence avec son voisin, au contraire d’une société qui n’envisage le progrès que s’il est « partagé par tous ».
Une droite Lepenisée ..
Certes, les français ont voté massivement, contrairement à 2002. Certes, le vote le Pen a baissé en valeur relative. Oui, le morcellement n’est pas aussi atomique qu’il ne le fût il y a 5 ans. Seulement voilà, la baisse du score de Le Pen ne constitue qu’un transfert de voix d’un vieux candidat vers un plus jeune et plus arrogant dont les messages ont consisté à s’approprier les idées d’extrême droite. L’extrême droite est devenue la droite extrême. Et ce, conjugué au recyclage organisé d’un certain nombre de personnages douteux, voir corrompus. Médusés devant leur téléviseur, les français ont ainsi entendu les commentaires et analyses des réusltats au soir du premier tour de Bernard Tapie et d’Alain Juppé en duplex. Qui sait demain d’Alain Carignon ? Bref, nous courons à la Berlusconisation de la France que nous avaient prédit les Italiens.
Combinaziones
A l’instar des écolos, dont les idées ont progressé dans tous les camps et qui n’ont donc plus besoin d’un parti, Le Pen a gagné la première manche, car ses idées pèsent maintenant plus de 42 % (31, 18% + 11%). Il ne lui reste qu’à intégrer le futur gouvernement de NS et a gagner quelques députés par des accords électoraux dont les appareils ont le secret..
En outre, l’ascension fulgurante de François Bayrou, rallié par une grande partie de militants de gauche, ceux qui étaient troublés et déçus de ce vieux PS incapable de se réformer, de rénover ses pratiques, de sortir de l’hypocrisie, n’est pas suffisante pour incarner un changement de système politique.
Un repli conservateur
Avec quatre grands blocs, on croirait que figurent d’un côté ceux qui veulent sauver les deux grands partis au visage rénové PS et UMP, dans la logique classique majoritaire de la cinquième république. De l’autre, ceux qui veulent refonder en faisant voler en éclat le système partisan soit l’UDF et le FN dans un rapport de force qui s’annonce nouveau.
Révolution centriste ou révolution démocratique ?
Tandis qu’on nous prédit un second tour "droite gauche" classique, tout sonne comme si il ne s’agit plus de ça.. Et il serait regrettable de ne pas analyser tous les ressorts du vote en faveur du candidat Bayrou.
S’il nous dit « un centre est né » dimanche 22 avril, c’est que d’un certain point de vue, il constitue l’émergence d’une nouvelle force politique basée sur une nouvelle façon de faire de la politique. A l’entendre, le candidat UDF, le clivage droite gauche n’est plus d’actualité. De toute façon, à entendre les deux concurrents du second tour, il doit être dépassé.
Il fait noter que la gauche ne s’est pas vraiment rendue audible, tandis que l’aile droite s'est assumée de façon décomplexée. C’est sans doute faute d’affirmer une volonté de remettre la politique face au jeu du marché que la gauche, sans repère voit dévier son électorat vers la droite. Car sur le plan culturel, nous assistons même à une dérive marketing et clientéliste de la politique. C'est-à-dire à sa marchandisation.
Nous avons changé d’ère c’est bien net, mais pour en faire quoi ? Les français hésitent.
Sans sous estimer sa dimension assurément constestataire, le vote Bayrou fût en tout cas le seul vote « pour » autre chose, mais quoi ?
Triomphe du marketing politique
Si les valeurs consuméristes et individualistes ont gagné c'est peut être que le combat de l’égalité et la solidarité n’a pas été mené. A en juger français dans une étude de science po 59 % se considèrent comme ayant des valeurs de gauche, pourtant tous ne votent pas et tous ne votent pas à gauche. Se qui en clair veut dire que l’offre ne correspond pas à la demande.
De deux choses l’une, soit on tente de recaler la demande, soit on change le message donné par les partis de gauche. A dire que le second tour postule le retour du clivage droite gauche, on referme la parenthèse de l’analyse systémique pour mieux conserver la répartition bipartite des pouvoirs dans le cadre de la cinquième république sans aller au fond des choses.
La difficulté de Ségolène Royal est double et c’est pourquoi le défi à relever est immense : il s'agit ni plus ni moins que de changer de République et de changer le logiciel partisan pour le mettre en cohérence avec un nouveau programme dont la légitimité principale est tirée des aspirations participatives des citoyens. Rien ne serait pire que de leur faire croire qu’il s’agit de changer de cap entre deux tours. Il est juste de temps d’avouer qu’il s’agit d’un changement de méthode. Ce qui ne signifie pas une conversion de la gauche au social libéralisme en gros prônée par Dominque Strauss Kahn et Jean Marie Bockel, mais d’un pas de plus vers la démocratie dont le vrai tenant est François Bayrou.
Reconstruire une démocratie éclairée
Difficile de lutter contre la généralisation du lobbying, quand on a refusé d’entreprendre une résistance à cette américanisation de la France. La bataille a mené désormais n’est pas que politique, elle est culturelle, philosophique même. Elle nous oblige à concevoir que nous assistons à une forme de corruption de la démocratie par le passage de l’ère de la souveraineté populaire à la démocratie d’influences. Il ne s’agit même plus de démocratie d’opinion car les sondages n’ont fait que nous donné l’ambiance..
A travers cette élection, les français se sont divisés dans leur foyer non plus sur une affaire de droite et de gauche, mais sur une démarche et une posture des candidats par rapport à l’exercice du pouvoir. Assurément, la rénovation à minima des personnes a été plébiscitée, ce qui a suscité un regain d’intérêt. Mais elle a vocation à servir une ambition plus grande. Fini la langue de bois des années Chirac, nous sommes dans l’ère de la démagogie et du populisme ou tout n'est que promesse de changement. Le pire, serait d'arrêter là la rénovation.
Une question nouvelle se pose donc à laquelle nous devons tous répondre : "veut on sortir du bonapartisme institutionnel auquel nous cantonne la cinquième république héritière d’une conception très masculine et paternaliste du pouvoir c'est à dire limiter le changement aux hommes, ou veut on accomplir la révolution démocratique et la redistribution des pouvoirs en plaçant une femme qui le partagera avec les citoyens dans le cadre d’un nouvel équilibre ?"
C'est à dire veut on parachever la révolution française en somme ?
Un duel droite gauche au second tour ?
Ceux qui affirment que nous sommes donc face à un classique duel droite gauche veulent naturellement refermer la parenthèse de ce débat concernant les conditions même de l’exercice de la démocratie qui permettent de définir les outils du politique face à l’économie. Quelque part, ceux là s’accrochent à la cinquième République. C’est ce que fait Nicolas Sarkozy.
Pour peu qu’elle soit lucide, la candidate soutenue par la gauche, toute la gauche, doit refuser cet enfermement donc se garder d’un recentrage à droite. Le débat d’aujourd’hui se pose en terme d’éthique démocratique, face à un candidat dont la pratique se caractérise par l’arbitraire et l’abus, mais aussi, en terme de volonté égalitaire face à celui qui se trouve être le garant de l’élitisme, et des privilèges. C'est-à-dire au fond que nous sommes dans un duel droite gauche non pas au sens contemporain, mais au sens révolutionnaire du terme celui, de 1789 qui fait appel à un retour aux fondamentaux.
Subsidiairement il s’agit de notre rapport à la vie en collectivité et au bien public. Il ne s’agit plus de savoir si on veut plus d’Etat ou plus de décentralisation, ni plus de social ou d’économie libérale. Il s’agit de savoir si du camp des privilégiés ou du peuple on se trouve. De dire à la lumière de l’ère moderne, si on veut plus d’espace marchand ou un bien public universel garanti, si on veut de l’interventionnisme d’un côté, du libéralisme équitable de l’autre. Le tout au service d’un développement durable. Il s’agit de reconstituer un nouveau front populaire pour empêcher le triomphe d’une droite dure nationaliste et affairiste.
Si l’UDF veut servir honnêtement une ambition refondatrice, elle n’a pas intérêt à sacrifier aux petits arrangements avec l’UMP. Elle doit se placer du côté des révolutionnaires qui veulent abolir la monarchie finissante et décadente.
Ce n’est pas en sauvant la cinquième république et en plaçant une droite néoconservatrice au pouvoir qu’on parviendra à réconcilier durablement les citoyens avec la politique ni à remédier à leurs peurs de l’avenir.
Il faut du courage. Une ambition authentiquement révolutionnaire pour le peuple.
Ce peuple majoritairement n’a pas voulu donner sa voix à Nicolas Sarkozy.
Pas encore. Le temps est suspendu à son choix du 6 mai. S’il ne passe pas dans les urnes, le pire est qu’il soit une bombe à retardement dans la rue demain.
La France a besoin de la voix d’un Jaurès pour bâtir la République égalitaire et c’est tout.
A défaut de jouer cette carte, le chemin centriste risque d’être un rond point autour duquel tout se joue mais sans lui.
Au sortir de l’hiver, avril se découvre d’un fil
Il y a donc une route, pour cette élection présidentielle là, dont la clé est incontestablement François Bayrou. Sans lui et ses ceux qui lui ont fait confiance autour d’une même conception de la politique honnête et contre les privilèges, nous risquons de concrétiser la rupture brutale à laquelle nous invite l’UMP. A savoir : la marche silencieuse d’un pouvoir basé sur l’ultranationalisme conjugué à la corruption des élites.
N’oublions pas où cela a conduit l’Italie. S'il faut le dire, il faut se garder d'un "tout sauf Sarko" ou les français risqueraient d’y voir malice.
Concrétisons le grand projet d’une révolution éthique qui montre un chemin de justice et d’honnêteté de la politique française vis-à-vis du reste du monde. Il passe par une association entre l'ambition refondatrice de François Bayrou et la volonté égalitaire de Ségolène Royal.
Un tel message d’espoir peut éclairer l’horizon électoral. Le soleil se lève en mai.