Thursday, March 26, 2009

Piratage, ce délit imaginaire..


Le 30 mars prochain, les députés examineront la suite de la loi abusivement baptisée "création et internet" dont l'exposé des motifs énonce assez clairement la couleur : l'emploi des mots "pirates" et "surveillance" sont les plus fréquemment utilisés..On savait TOUS que notre cher Président était féru de culture (si si au point d'organiser un concert gratuit pour un montant de 1 million d'euros financé par le ministère de la Culture selon le 100% Mag de M6, dont un cachet de 50% pour un certain Johnny à l'occasion de la fet-nat'), mais au point d'en arriver à couper l'accès à l'internet (et tant qu'à faire le téléphone et la télé aux heureux bénéficiaires de services groupés) à celui qui aurait téléchargé "illégalement" de la musique en invoquant la "pédagoie"...
Comprenne qui voudra : c'est à se demander ce que la culture vient faire là dedans ?
Tiens, au fond, si Mam, notre -souriante- ministre de l'Intérieur venait défendre ce texte au nom de la "lutte contre la piraterie"..A moins que ce ne soit contre "le piratage". Enfin disons "la cyberpiraterie" ?
Bon essayons d'y voir clair, ainsi que nous y invite un récent papier du journal 20Minutes intitulé "vous avez dit pirates ?"



Décodage :

Un problème de lexique donc dans la formulation de l'objet de "lutter contre le piratage", car le piratage n'existe pas dans le Code Pénal. Seul existe le délit de contrefaçon auquel on assimile le téléchargement illégal c'est à dire au sens du gouvernement : non payant. Et cela veut dire que la gratuité (partage, don, troc) serait désormais (moralement du moins) prescrite dans un internet totalement marchand. (cf Lefebvre : "la gratuité c'est le vol".) Pourtant M. Lefebvre n'ignore pas que l'accès à la radio et même à certaines plateformes d'écoute en streaming est gratuit pour l'usager mais rémunérateur (certes pas assez encore) pour l'auteur (via la pub)!

Au sens général du 18° siècle le mot "piratage" désignait pourtant bien une réalité dans le langage courant, mais elle impliquait le fait de s'emparer, de piller une oeuvre pour en faire du profit. Que dire des pratiques dont la source est l'achat car le droit à la copie privée est payé par tout consommateur (oui une taxe sur chaque cd vendu si vous ne le savez pas) ? ou encore des échanges de données (savoirs, cours de maths,photos etc) ? Ces usages n'entrent pas dans la définition faite à l'époque.

Mais encore, l'usage répété par le rapporteur Riester du mot "piraterie" est totalement abusif sinon diffamatoire à l'égard de celui qu'il vise. Car, la piraterie est bien un délit pénal, et fait l'objet d'une convention des Nations Unies, visant quiconque chercherait à s'emparer par la violence... d'un moyen de transport sur mer. Rapport donc, très lointain avec ce qui se passe au large des côtes Somaliennes en ce moment.

On ne peut interner internet

Sans préjuger (ni la sous-estimer d'ailleurs) de la totale naiveté de certains de nos élus, on peut donc à tout le moins s'étonner qu'on invoque à tour de bras le "piratage" des oeuvres pour justifier la mise en place de nouvelles mesures répressives, surtout si celles-ci s'avèrent un rempart de papier contre la chute des ventes de CD par exemple et d'ailleurs largement compensées pour l'essentiel par l'essor du commerce en ligne via les plateformes payantes de téléchargement qui, au passage, s'avèrent, comme les cd, d'un grand profit pour les distributeurs (les maisons de disque), mais peu rémunératrices pour les auteurs.A cet égard, les grandes maisons de disques, sont aux artistes ce que la grande distribution est aux producteurs de fruits et légumes. Il serait temps de revoir les marges, ou sinon de favoriser l'échange direct. La star Cali va jusqu'à les qualifier de "voleurs". Beaucoup d'artistes se produisent eux-mêmes désormais et rencontrent leur public directement sur internet. Ceux-là, sont souvent contre l'HADOPI. Mais comme le tiers-Etat, on ne les entend pas. Pas encore.

Au royaume des borgnes donc..
Pourquoi (mais pourquoi?) ce mot sonne comme un couperet sur un acte dont seule la justice pourrait dire s'il est vraiment illégal ? et pourquoi créer, une Haute Autorité (l'HADOPI) d'exception en quelque sorte dont le rôle sera :

- de sanctionner le manquement à l'obligation de surveillance de chaque internaute (d'un téléphone portable aussi ?) devra sécuriser sa connexion par l'achat d'un logiciel filtrant anti-téléchargement, Mais pour ne pas être sanctionné s'il était pris la main dans le sac, il faudra établir que le dit outil aura été activé. Traduire : auto-surveillance + mouchard dans le logiciel + fichage des adresses de connexion IP pour identifier la source du téléchargement et envoyer un premier avertissement par mail

- de définir les conditions de ladite surveillance ( va t-on choisir pour nous quels sont les bons logiciels pour lutter efficacement contre cette vilaine cybercriminalité?)- quels sont ceux qui auraient alors la haute main sur le marché ?

- de labelliser les offres légales ; eh oui, la loi ne verrouille pas que les communication en ligne, elle nous dira aussi qu'elle est la bonne pensée culturelle. Joie de la pensée numérique unique marchande. Au profit de quels distributeurs ??? et au mépris desquels ? (bizarrement Free n'est pas dans la liste des partenaires du ministère qui a crée un site dédié à la propagande aux frais du contribuable : www.jaimelesartistes.fr)

- et surtout l'Hadopi pourra décider de couper votre internet avant et sans que vous n'ayez eu le temps, ni les moyens de vous défendre..quel bazar en perspective pour les offres groupées (téléphones, web, tv) C'est pourquoi les opérateurs de télécoms préfèrent une amende. C'est pourquoi, plusieurs députés ont déjà déposé des amendements en ce sens. Solution de repli ?..qui ne change rien au fond.

Bref, dans tout ce mic mac, pas un sou ne reviendra aux auteurs, artistes, interprètes.
Et même, d'autres moyens de se procurer des oeuvres à grande échelle se développeront. Ces moyens existent déjà et font la joie de ceux qui, rethorique oblige, s'auto-baptisent désormais "pirates".
Ainsi, l'expression est devenue "tendance". Compter un pirate parmi ses amis est un must have pour car le pirate, c'est le clandestin, le résistant des temps modernes,
Yeah !! ...Sauf qu'Albator ne connaissait sans doute rien au P2P, (que vient -il faire là-dedans celui-là au fait?)

On pourrait presque sourire devant le caractère obsolète, (limite touchant) des discours de la ministre qui affirme l'efficacité prétendument pédagogique d'une riposte graduée (la coupure ne vient qu'après l'avertissement attention) si la gênèse de ce projet n'était pas l'obsession du contrôle et l'asservissement par les puissants de ce monde de la civilisation numérique.(Ah des grands mots Séverine !)

On pourrait se dire que c'est encore du temps perdu mais que l'intention est louable s'il s'agissait vraiment d'aider la création. (Répétons-le : il faut dire que la culture est le grand cheval (de Troie) de bataille, du président de la République)
Et pour cause, ici et là, se multiplient les faits divers mettant en cause internet ; source du crime. Assimiler le téléchargement au grand banditisme comme on tente de le faire, et justifier progressivement les restrictions de communication en ligne participe, ainsi que l'illustre le dernier rapport RSF sur internet, d'une dégradation des libertés face dans un contexte de déflagration sociale,susceptible d'engendrer la mobilisation des citoyens, la rebellion même contre une forme d'ordre économique et financier qui entend continuer d'enrichir une élite au détriment des populations. Car ils ne veulent rien lâcher les bougres !

Et, s'il en fallait plus pour nous convaincre de la sournoiserie et la dangerosité de l'Hadopi : voici un extrait du communiqué de l'April (cette grande association milite pour le logiciel libre)
"Alors que le projet de loi Création et Internet est en cours d'examen à l'Assemblée nationale, l'April tient à souligner combien le contenu de l'article 9 bis constitue un manquement à la neutralité scolaire et commerciale de l'école. Cet article, qui condamne le téléchargement dans l'absolu, méprise le foisonnement d'œuvres en partage. Il désigne les technologies comme une menace, s'appuyant sur la vision partiale et biaisée d'industries n'ayant pas su s'adapter au numérique.

L'article 9 bis, introduit au Sénat1, prévoit que les élèves « reçoivent une information, notamment dans le cadre du brevet informatique et internet des collégiens [B2i], sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon. Les enseignants sont également sensibilisés. »

Cela signifie que l'échange non marchand est un crime. Mais, attention un crime moral.
Formater les petits cerveaux de nos enfants, voilà comment prévenir la cybercriminalité.
Oui c'est sûr : internet TUE, comme la cigarette.

Alors comme ils ne peuvent (pas encore) rogner ma liberté de penser, j'émets une hypothèse :
Tout ça n'est pas Orson Wells. C'est juste une stratégie logique de gens qui protègent leurs intérêts partant peut être du constat que la révolution numérique, c'est juste la révolution.