Friday, January 05, 2007

Le paradis (fiscal) des uns c'est l'enfer des autres


Une année qui commence fort !

C'est sûr : l'argent ne fait pas le bonheur, mais il fait bien le malheur de ceux qui n'en n'ont pas ! Pour les impôts c'est pareil, ils ne font pas le bonheur de ceux qui en payent, mais certains rêveraient d'avoir les moyens de (se) les payer..
Le paradis (fiscal) des uns c'est l'enfer des autres


La parution d'une analyse d'Arnaud Montebourg(1) sur la délocalisation fiscale de Johnny Hallyday vient de réveiller par surprise et de mettre en émoi nos chers dirigeants Suisses, Luxembourgeois et la principauté de Monaco. D'un seul trait, tous se sont élevés contre la sortie sonnante et fraccassante d'une critique en règle contre les paradis fiscaux qui a le mérite de donner une utilité politique à l'évasion fiscale hypermédiatisée de Johnny Hallyday.
Pensez, des pays si ordinairement paisibles et neutres drapés dans leur certitude outragée s'en prendre tous ensemble à un seul homme, fût-il parlementaire et éloquent défenseur de la rénovation des pratiques politiques !
L'arrogance indique à tout le moins la gêne ainsi occasionnée ouvrant un vrai débat politique.

Profitons-en un peu pour relever le plat...

Dumping jackpot

De quoi parle t-on quand on stigmatise l'évasion fiscale de ces riches donneurs de leçon tout en invoquant l'emploi ? De ces entreprises qui délocalisent après avoir encaissé des dividendes monstrueuses en étant subventionnées des années durant par de l'argent public, de ces artistes redevables de l'ISF qui engrangent les recettes de leurs concerts hors de prix ? C'est là tout simplement une opération politique dont le but est d'exercer une pression supplémentaire pour accentuer toujours la croissance des ressources d'une clientèle électorale et d'un réseau de copains coquins, toujours au détriment de l'intérêt général.

De l'utilité économique et sociale de l'impôt

Si l’impôt sur le revenu est l’outil de la redistribution des richesses et de l’intervention publique, il n'est certes pas la garantie d'un partage équitable des ressources à la base. Reste que, sans fiscalité, la loi du plus fort règne. Et le plus fort, c’est toujours l’argent. Qu'on le mesure, plus les impôts baissent, plus les inégalités progressent, en France et partout dans le monde, les plus grandes disparités de revenus sont là où les processus de redistribution sont peu existants en Angleterre, aux Etats-Unis en particulier, pays apôtres du modérantisme fiscal. On a donc beau pester contre les impôts, n’empêche qu’ils participent de l’intérêt public d’une société où les rapports sociaux sont pacifiés. A condition toutefois qu’ils soient justes, proportionnés totalement aux ressources et surtout utilisés à bon escient et non détournés. De tous les combats qui s’annoncent pour l'année à venir, celui de la lutte contre le dumping fiscal est donc bien le plus imminent à plusieurs titres..

Ce qui est socialement profitable à la majorité, devrait donc être économiquement justifiable par une « classe » dirigeante qui tient les commandes des institutions et banques au nom des intérêts du peuple souverain.
Or, il se trouve encore des personnalités pour justifier le désordre généré par cette concurrence totalement déloyale puisqu' elle est essentiellement régie par la captation des ressources et l’accès d’une élite affairiste richissime à certaines sphères bancaires auxquelles un citoyen lambda ne saurait avoir droit. Essayez d’aller vivre à Gstaad pour voir si vous y tiendrez ne serait-ce que six mois par an avec un SMIC mensuel !

La France est un paradis fiscal

Avec ces niches fiscales dans les DOM-TOM qui permettent de réaliser des investissements dans la construction hôtelière ou des bâtiments qui restent vides uniquement pour grossir artificiellement l'actif de sociétés qui spéculent, ses Zones franches urbaines et ses nombreuses exonérations fiscales pour les entreprises, la France est un paradis fiscal pour certains. Et, malgré une fiscalité toujours présentée comme "pénalisante" par le Medef, la France est un pays très attractif comme l'indique l'étude mondiale de KPGM sur le coût d'implantation des grandes entreprises dans de grandes villes (3). Ce faible coût est lié notamment aux prix compétitifs du foncier et de nos transports ..financés devinez par qui ? nos impôts !!

Les vases communiquant de la fiscalité..


Que l'on sache, ce qui pose problème en France est donc la fiscalité injuste et socialement douloureuse pour les ménages au plan local. Celle-ci est en constante augmentation d'ailleurs, sous couvert de décentralisation parce que les autres ressources alimentant l'Etat, diminuent et que les gaspillages et détournements d'argent continuent (voir les provisions douteuses pour la gestion des services publics délégués de l'eau, les ordures ménagères qui alimentent les débats dans un grand nombre des collectivités). Mais au lieu de changer le sort fiscal des foyers français les moins bien lotis, Chirac propose la baisse de l'impôt sur les sociétés de 33 à 20%, après que le Gouvernement ait organisé un bouclier fiscal totalement favorable aux tranches supérieures et revu à la baisse à plusieurs reprises l'ISF ces dernières années. Il y a de l'escroquerie intellectuelle dans ce débat, mais il faut bien dire que de l'honnêteté comme de l'intelligence.. ! A trop baisser les impôts, on détruit les éléments de souveraineté, dont la fiscalité fait partie intrinséque et on diminue la force frappe de la puissance publique face à la haute finance qui régente tout.



Lutter contre les paradis fiscaux pour réhabiliter la politique

Tout paradis fiscal est donc une menace sociale en ce sens qu’il génère une concurrence entre le pays dans lequel les prélèvements sont forts pour asseoir une politique de juste répartition des richesses et garantir un certain niveau de service public et des pays constituant des réserves de riches qui s’y trouvent domiciliés à titre purement spéculatif. A partir de ces évidences, faut-il aligner vers le bas les niveaux de fiscalité pour laisser jouer le libéralisme total ou faut-il au contraire, faire disparaître ces zones de trou noir fiscal que constituent les pays défiscalisés ou faiblement fiscalisés ? La réponse dépend du projet de société que l’on porte. L’élection présidentielle est l’occasion de vérifier quelles sont les vraies priorités et le volontarisme des candidats en lice. Au premier plan, on pourrait dire que si l’on est de gauche on croit à priori à la régulation du marché par la puissance publique justifiant en cela l’impôt, tandis que si l’on est de droite, on s’en tient à la loi du marché. Or, ce qui paraît être un enjeu de pure considération partisane, est en fait essentiellement une question de morale publique. C'est pourquoi, on trouve des hommes politiques étiquettés "libéraux" combattant les paradis fiscaux (voir à ce sujet le rapport de la mission parlementaire anti-blanchiment de 2001 composée notamment de Michel Hunault député UDF, et François Daubert, député UMP (4)). Car n'oublions pas que ces paradis là sont aussi des paradis bancaires et judiciaires. La règle de la transparence sur les comptes occultes y est de mise, ainsi que la difficulté pour les juges d'y enquêter. Songez qu'il faut quelques minutes pour faire un swift bancaire de plusieurs millions d'euros et qu'il faut parfois des années à un juge d'instruction pour obtenir un mandat de perquisition !!

Dans un monde à la dérive, ou les rentes financières des capitaux et les richesses se concentrent dans les mains de quelques uns au détriment de la majorité de l’humanité, le refus d’assistance publique à société en danger est un crime. Ce qui menace l’équilibre des relations sociales tient justement dans la guerre que doivent se livrer les individus entre eux face aux arrangements que les puissants réalisent dans leur dos.

Agir contre la délinquance financière et la grande corruption..

Plus morale encore, la question de la lutte contre le blanchiment des capitaux et des paradis bancaires qui refusent la transparence sur la gestion des comptes des grands hommes d’affaire et des holdings affiliés à des mafias. C’est ainsi qu’empruntant les voix sacrées du libéralisme bancaire et fiscal se sont constituées des olligarchies dont les budgets dépassent parfois de loin ceux des Etats, accentuant par là-même le discrédit et la perte de légitimité de ceux-ci aux yeux des citoyens qui désespèrent de l’impuissance du politique face à l’économie. Lutter contre la corruption des politiques qui participent du chantage à l’emploi et à l’impôt pour offrir le ciel céleste à l’organisation de ce système de « domination du monde » parfaitement décrit par le courageux journaliste Denis Robert[1], est une priorité. Tout comme de lutter contre le délabrement de l’esprit public, les paradis fiscaux et la délinquance financière. Avec pas moins de dix paradis fiscaux en son sein, l’Union Européenne devrait agir contre ce phénomène dans un cadre plus global au plan international.


Mesdames, Messieurs, les députés et commissaires européens qu'attendez vous pour bouger ? Car au fond, sans péréquation fiscale et sans nouvelle répartition des richesses, l'accès au paradis des uns n'est garanti qu'au au prix de l'enfer pour les autres.
Les autres, c'est nous, les Dindons de la gigantesque farce de Noël que nous a offert l'exil du pénitencier reconverti en soldat du désarmement fiscal.
Et Dieu c'est qui ? Ben c'est Saint Nicolas !!
Assurons que celui-la ne l'emporte pas au Paradis.
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[1] Tribune parue dans Libération rubrique « Rebonds » le mardi 2 décembre 2006
[2] Lire son livre « La domination du Monde » ed. Les Arènes
(3) Relaté dans l'article du journal la Tribune du 17 mai 2006
(4) consultable dans les archives du site de l'Assemblée nationale ; www.assemblee-nationale.fr

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