Wednesday, January 25, 2006

La commission Outreau ou le procès (à charge) de la justice française ..

*Eric Halphen, juge d'instruction qui a rendu son tablier après avoir constaté l'impossibilité d'auditionner le chef d'Etat sur les "affaires" de la Mairie de Paris

La justice est le parent pauvre d'une République à genoux devant les privilèges des uns et face à la souffrance des autres

Caricatural jusqu’au bout, le procès Outreau a certainement mis en lumière des failles du système judiciaire, mais il a révélé d‘abord crûment les différences de traitement par les représentants institutionnels (juge, parquet, policier) et médiatiques entre le citoyen ordinaire, et le justiciable d’un rang social supérieur. Ces différences confinent le plus souvent à un certain « racisme de classe » émanant de nos institutions. Du ton et des mots employés par le policier ou le juge interrogeant le suspect, au prévenu privé d’avocat pendant un an avant d’en avoir un commis d’office, à la femme qui n’a pas d’aide sociale pour héberger son fils chez ses proches auquel l’Etat préfèrera donner la garde à une famille d’accueil, les victimes de la justice, l’administration, la police sont nombreuses. Ces mauvais traitements brisent des vies et discréditent la République dans son ensemble. Dans les affaires judiciaires le gouvernement s’exonère systématiquement de toute responsabilité, alors qu’il exerce une pression sur ces institutions pour obtenir des résultats sans leur donner les moyens de faire leur travail. Cela se traduit par une justice expéditive et le non respect de la présomption d’innocence pour les gens ordinaires et douze ans d’instruction dans l’affaire des HLM parisiens, sans aucun homme politique au banc des accusés, lesquels recyclés par leurs partis politiques lors des élections successives. De l’empressement naturel avec lequel la commission d’enquête parlementaire a vu le jour, du côté spectaculaire des témoignages, ne tirons pourtant pas de conclusions hâtives nous privant d’une réflexion plus profonde sur le fonctionnement de la République en vue d'une réforme utile et juste.….

Deux jours d’auditions de la commission d’enquête parlementaire auront suffi pour mettre en cause le juge d’instruction, non pas en sa qualité d’homme, par nature non infaillible, mais en tant qu’institution. Ainsi, le Gouvernement a commencé à tester sur l’opinion publique une proposition de réforme de la justice. Il s’agit d’une idée de Georges Fénech, ex magistrat, membre de la commission d’enquête parlementaire mis en examen dans l'affaire des ventes d'armes à l'Angola. Dans son livre « Un juge en colère », il expliquait qu’il fallait supprimer les juges d’instruction. Au motif de l’exception judiciaire française, c’est l’exemple anglo-saxon qui est pris pour modèle par la droite. Ce système vient de permettre à Jean Peyrlevade, ancien président du Crédit Lyonnais de négocier avec la justice américaine selon la méthode du plaidé coupable lui permettant moyennant une amende de 500.000 dollars, assortie de cinq années de mise à l'épreuve d'échapper à toute détention. Exposant ses idées sur le plateau de Canal plus, M. Fénech a annoncé la couleur, dès le lendemain des premières auditions. Lors de cette émission matinale, le député UMP a pourtant amalgamé les quatre mille non-lieux rendus par les juges en France pour l’année 2005 à des erreurs judiciaires. Or, un non lieu délivré par un juge signifie simplement que les charges figurant dans un dossier contre une personne ne sont pas estimées « suffisantes » pour ouvrir un procès, mais que le dossier peut être rouvert si des éléments nouveaux surgissent. A titre comparaison, cela revient à assimiler le non lieu de Jean Tiberi dans l’affaire des HLM de Paris, De Perretti dans l’ELF comme autant d’affaires Outreau… Dès lors, comment ne pas douter de la bienveillance des hommes politiques instruisant le procès de la justice et ne pas s’étonner d’une telle rapidité de conclusions avant même l’audition du juge ? Autrement dit, n’est on pas en train de préparer aux dépends des acquittés - victimes d’une terrible et dramatique somme de graves défaillances, une reprise en main de l’autorité judiciaire par le pouvoir politique ? Car, en suivant la logique de M. Fénech qui propose la suppression du juge d’instruction et la mise sous tutelle des enquêteurs par le Parquet, se sont les ministres de l’Intérieur et de la Justice qui contrôleraient conjointement le déroulé de la procédure ? D’autorité judiciaire, l’institution deviendrait un simple service public de la Justice. Est-ce le moyen d’éviter d’autres affaires Outreau ? Peut être.. mais est-ce le but recherché d'ailleurs, ou sinon plutôt la meilleure façon de conduire à l’enterrement des dossiers judiciaires politico financiers, soit de garantir l’impunité pour les uns dans un système qui resterait inégalitaire. Et de comparer au passage l’acharnement du juge Burgeau contre des innocents à la détermination du Juge Halphen ou d’Eva Joly contre des politiques véreux, voilà le bon moyen de serrer la vice à ces juges trop scrupuleux. Vu l’ampleur du scandale et les dégâts personnels, familiaux, psychologiques pour les victimes et leur famille, il était nécessaire que les français entendent ce qui allaient dire les acquittés d’Outreau. Mais soyons vigilants sur les conclusions de la commission d’enquête dont la publicité des auditions substitue finalement à l’objectif de faire droit aux citoyens ordinaires, un procès de la justice instruit totalement à charge par procuration. Dans cette affaire, la caricature est un miroir déformant qui nous empêche peut être de viser des solutions de réforme de l’ensemble de nos institutions pour les rendre plus accessibles aux citoyens. Car la violence institutionnelle qui a frappé les acquittés met aussi en cause les services de police et les services sociaux. Depuis plusieurs années déjà, le pouvoir politique s’en prend aux juges sous la complicité de quelques uns de ses amis aux ordres qui dénoncent tour à tour le « pouvoir des juges ». Or c’est un état des lieux de toute la société qui doit être fait, à commencer par les inégalités institutionnalisées qui la minent et la responsabilité de ceux qui nous gouvernent devant répondre de leur pouvoir hiérarchique. Dans cette affaire Outreau, ils n’ont pour ainsi dire pas répondu aux dizaines de lettres envoyées par les prévenus et leurs familles. Dans une République où l’accès à la défense et aux médias est plus facile pour ceux qui ont de l’influence, ne réformons donc pas la justice sous le joug d’une certaine pression politique. La suppression des juges d’instruction n'est que trop suspecte.

Il est urgent de garantir la séparation des pouvoirs dans une réforme profonde à travers laquelle l’institution judiciaire ne sera plus le parent pauvre de la République.

Séverine Tessier,
Présidente d’Anticor –association des élus contre la corruption
http://www.anticor.org/

1 Comments:

Anonymous Anonymous said...

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